and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Ben Bos
26-7-13
Comment êtes-vous devenu graphiste ?
Ce n’est pas évident de se souvenir du moment précis où tout a commencé. Mon père et mon grand-père étaient relieurs. Enfant, j’ai toujours eu à disposition des tas de beaux papiers avec lesquels je pouvais m’amuser. Donc peut-être que ça a commencé à ce moment-là. Ou peut-être était-ce quand j’avais onze ans, lorsque j’ai fait mon premier magazine, très modeste. Il n’y avait qu’un exemplaire qui passait de maison en maison dans le quartier. Le magazine parlait de choses qui m’intéressaient comme l’aviation ou l’athlétisme. J’ai réitéré au lycée. Donc pendant toute ma jeunesse et même durant mon service militaire, j’ai produit des imprimés. J’ai toujours été celui qui publiait des choses. À l’armée de l’air, j’ai eu de la chance puisqu’assez vite, on m’a demandé d’écrire le texte de commentaires pour l’hebdomadaire Airport News. Et ainsi de suite… J’étais toujours dans une sorte d’art publicitaire. J’ai écrit pour mon club d’athlétisme et on m’a toujours dit que c’était de loin leur meilleur magazine parce que j’avais été le seul à interviewer par correspondance des athlètes reconnus du monde entier. C’était unique. Un jour, j’ai été contacté par un collègue du club d’athlétisme de l’université. Il avait lu mes textes dans le magazine du club et il avait besoin d’un rédacteur publicitaire pour le catalogue de son entreprise — le leader hollandais dans les fournitures et équipements de bureaux, Ahrend. J’ai accepté. Cela ne faisait pas encore de moi un graphiste, mais c’était les débuts. Les textes que j’écrivais étaient transmis au graphiste assis à côté de moi, c’est comme ça que j’ai découvert ce travail. Avec envie, je me suis alors dit que ce métier était peut-être fait pour moi. D’autant plus que je dessinais bien. Ce qui me permit d’intégrer les cours du soir pour devenir maquettiste à l’école de graphisme d’Amsterdam, que j’ai ainsi fréquenté pendant cinq ans. Je continuais toujours à travailler à Ahrend, où je fus promu directeur artistique. En publicité, nous avons gagné diverses récompenses nationales grâce à nos idées originales. Au cours de la deuxième année, à l’école, je fus approché par Wim Crouwel qui me demanda de travailler pour lui. Si je récapitule, j’avais ma famille, un travail à temps plein six jours par semaine, les cours du soir, le travail pour Wim Crouwel, mes propres clients en freelance… j’étais un jeune homme fort occupé !
Comment êtes-vous devenu membre de Total Design ?
Au bout de neuf ans, je suis entré en conflit avec mon patron de Ahrend. L’entreprise, grâce à la publicité qui en était faite, était devenue très renommée. Alors mon patron a approché le PDG en disant que « notre service coûte désormais de l’argent alors que nous pourrions en générer grâce à notre talent ; nous devrions vendre notre créativité ». Et au lieu de m’accorder une place dans cette nouvelle entreprise, il fit une proposition à quelqu’un d’autre. J’ai donc refusé de travailler pour eux. Au même moment, Wim Crouwel et d’autres graphistes réputés fondèrent le premier groupe de graphisme aux Pays-Bas : Total Design. Et ils voulurent que j’en fasse partie. Je me croyais au paradis du graphisme. Ils me nommèrent responsable du studio d’assistance mais cela ne fonctionna pas bien longtemps. Assez tôt j’ai donc eu ma propre équipe et je fus nommé directeur créatif. Je finis par partir en raison de conflits avec la nouvelle génération de managers, égoïstes et cupides. Ils oubliaient aussi nos racines dans le fonctionnalisme ; ils faisaient une sorte de design « arty ». Le travail n’était plus honnête. J’ai travaillé ensuite pour un autre studio pendant deux ans et après cela je me suis lancé à mon compte. Depuis ce jour je suis un homme libre.
Qu’est-ce qui vous a influencé ?
Wim Crouwel était ma principale influence. Il n’est mon aîné que de 649 jours mais à l’époque, en l’espace de quelques années, il est devenu l’un des meilleurs graphistes du pays. Étudiant déjà, je voulais me mesurer à lui. Mon souhait le plus cher était de pouvoir créer un jour des posters de la qualité de ceux de Crouwel. Mais avec les années j’ai eu mes autres héros du design. Mon collègue Benno Wissing (à Total Design), mais aussi d’importants enseignants tel que Josef Müller-Brockmann, Armin Hoffman, Emil Ruder et de nombreux grands designers que j’ai rencontrés au fil des années depuis que je suis devenu membre de l’AGI, en 1978.
Vous avez connu la période faste du graphisme hollandais et vous en avez été l’un des acteurs, en tant que membre de Total Design. Cela devait être vraiment stimulant.
Oui bien sûr, cette aventure a complètement transformé la profession. Et moi même — par la même occasion. Il y a deux ans, j’ai écrit un livre : TD 63-73 : Total Design and its Pioneering Role in Graphic Design. Je dis « pionniers » car lorsque nous avons créé Total Design, tous les autres graphistes travaillaient encore en indépendants. Ils n’étaient pas en mesure de travailler sur des projets qui débordaient du seul cadre graphique. Il n’y avait pas d’équivalent sur le continent Européen. Les seuls exemples que nous avions se trouvaient à Londres.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
Je suis un graphiste à plein temps. Le graphisme c’est ma vie. Pour autant ce n’est pas la seule chose dans la vie. En ça, je suis différent de Wim Crouwel. J’ai toujours dit qu’il était graphiste 400 jours par an et 26 heures par jour. Son intérêt premier est l’art et le graphisme. Je trouve que c’est un peu restreint et qu’il faut avoir d’autres idéaux, d’autres plaisirs pour rompre avec la pratique quotidienne. Courir a toujours été un plaisir. J’ai fait aussi pas mal d’alpinisme. Et pendant les vacances je continue de peindre et de dessiner. La photographie est un autre grand « sport » pour moi.
Lorsque vous étiez à Total Design, votre équipe était spécialisée dans l’identité visuelle. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ces projets à but commercial ?
Je voulais apporter de la qualité dans notre environnement quotidien. J’ai travaillé plus de trente ans pour Randstad. Quand ils sont venus me voir la première fois, je n’ai pas voulu travailler pour eux parce que je ne comprenais pas ni n’avait confiance dans le genre de travail pour lequel ils étaient impliqués. Je n’y ai plus pensé et six mois plus tard, les collègues de TD m’ont pressé de les recontacter pour voir ce qu’on pouvait faire pour eux. Ils avaient vu le potentiel de ce client. Je leur ai donc dit la chose suivante : « Je veux bien travailler avec vous mais il nous faudra convaincre les gens que vous êtes les meilleurs. Et être les meilleurs signifie qu’à partir de maintenant, tout ce que vous ferez devra avoir été bien pensé et énoncé dans un message aussi clair que possible et alors nous pourrons faire de notre mieux ». J’ai toujours essayé de donner la primauté à la qualité et si celle-ci n’était pas au rendez-vous, je tentais de l’apprendre à mes clients.
Votre équipe avait-elle une manière de travailler complètement différente ?
J’ai eu la responsabilité d’une équipe en 1966 et depuis, ce fut la seule à avoir fait du profit. Il y a eu ma période Ahrend mais j’ai travaillé pour le commerce aussi, et cela demande une manière de penser différente. Nous avions une approche efficace des problèmes de design. Nous écoutions, analysions, esquissions et prenions nos choix, qui étaient souvent simples et directs. En comparaison avec le travail pour des musées, les designers qui travaillent pour des projets commerciaux doivent partir de zéro. Le monde culturel offre des « ingrédients » visuels pour les posters et les catalogues ; c’est une formule complètement différente. La plupart des travaux d’entreprises signifient que le designer doit inventer l’image de la compagnie. Vous devez inventer vos propres ingrédients.
Le monde de la culture semble bien souvent plus attractif parce que les commanditaires ont pour image d’accorder davantage de liberté ou d’être plus compréhensifs. Quel est votre avis ?
Je pense que le monde de la culture, pas seulement les musées mais aussi les grands théâtres ou les compagnies de danse ont bien entendu leur propre sens de la beauté et de la qualité. C’est aussi très déconnecté de la réalité. C’est un cercle très fermé, un système à part entière. Quand un graphiste parvient à intégrer ce milieu, cela le rend très heureux parce que c’est gratifiant… mais il reste dans la facilité.
Au final, y avait-il vraiment deux esthétiques à l’époque, l’une commerciale et l’autre culturelle ?
Eh bien, je ne sais pas. À mes débuts dans le graphisme, j’étais convaincu que le fonctionnalisme et le modernisme m’étaient destinés, comme une sorte de directive, un chemin que je voulais emprunter. Et je le pense toujours. Mais il y a une différence, je pense, entre mon approche du fonctionnalisme et celle des autres graphistes, ceux qui travaillent pour le domaine culturel. En effet, je ne peux pas travailler sans émotion. J’ai besoin de ressentir des émotions et d’avoir des sentiments. Sans ça, il m’est impossible de donner le meilleur de moi-même. Je dois être à l’aise avec un client et l’amener à me comprendre. Nous devenons alors rapidement amis et nous essayons de travailler avec le même objectif. Mais je pense que le fonctionnalisme est incomplet ; l’émotion est ce qui anime les gens et ce peut aussi être un instrument au service du fonctionnalisme. Toutes les théories sur le fonctionnalisme ne le précisent pas ainsi, mais je suis convaincu que par le biais de l’émotion on touche davantage.
De nos jours, il semblerait que l’objectif de vente prime sur la qualité du projet, dans tous les domaines. Quel est votre regard sur cette situation ?
Je suis tellement heureux d’avoir connu cette période faste, d’avoir pu contribuer à l’invention du graphisme dans son sens le plus large. À cette époque nous pouvions travailler et échanger directement avec les décideurs de telle ou telle entreprise. Nous n’avions pas à supporter les directeurs marketing ou d’autres jeunes gens stupides. Nous avions accès aux chefs. Cela signifiait que nous faisions bien plus que du graphisme, nous avions de l’influence et notre avis importait. Nous faisions partie de la famille, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. J’ai rendu mon tablier au bon moment. Je n’aime pas la société d’aujourd’hui. C’est devenu très difficile de trouver des clients animés de bonnes intentions, qui ne sont pas seulement guidés par l’appât du gain. J’ai toujours connu la situation de collaboration idéale, au bon moment.
Quels types de projets sont les plus intéressants ?
Vous voulez dire ceux qui supposent un certain défi ? Les projets les plus intéressants sont ceux pour lesquels j’étais certain que le graphisme apportait une valeur ajoutée. Le graphisme pour le graphisme, ça n’a pas de sens. Mais si vous avez réellement la possibilité d’améliorer les choses, alors vous apportez de la valeur à la société, à l’entreprise, etc. Pour la plupart des choses que j’ai faites, j’ai le sentiment d’avoir aidé l’entreprise à s’améliorer, d’avoir aider le public à mieux comprendre, d’avoir fait quelque chose de joli à voir.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
Oui. Essayez d’ajouter de la valeur ! Soyez conscients qu’il n’y a pas que le graphisme dans la vie. Que vous pouvez embellir les choses, améliorer leur fonctionnement et leur compréhension, qui demande bien plus que de rendre les choses attrayantes. Quelque chose de séduisant c’est sympathique, bien sûr, mais il ne faut pas se limiter à ça !
Et VOIR. C’est plus que de simplement regarder. Être curieux, être attentif à son environnement tout le temps. Les détails ne sont pas des détails. Parce que votre tâche en tant que designer est de contribuer à rendre les choses meilleures. Cela requiert une observation critique et de l’attention.