and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en De Designpolitie
Richard van der Laken
18-7-13
De Designpolitie, Gorilla, What Design Can Do… chacun de ces projets a-t-il été développé indépendamment des autres ou bien sont-ils chaque fois l’évolution du précédent ?
Ils sont tous liés d’une certaine façon. Il y a 18 ans, j’ai lancé avec Pepijn De Designpolitie et depuis, nous n’avons pas cessé de travailler pour le compte de clients mais nous avons aussi eu l’envie de créer nos propres projets ou en commun avec des amis. Au début, nous créions des magazines, des expositions, nous développions toutes sortes d’idées esthétiques, certaines étaient même parfois saugrenues. Et en tant que De Designpolitie, nous essayions également d’adopter un regard critique sur les choses. C’est ainsi que nous avons démarré le projet Gorilla. Comme nous avions déjà réalisé des illustrations pour la presse et que nous étions des drogués de l’information, c’était assez logique de commencer à faire ça. Gorilla nous a tout à coup offert la possibilité de réagir sur l’actualité. Nous aurions pu tout aussi bien être chroniqueurs et donner notre opinion. C’est très éloigné du rôle qu’on connaît d’un graphiste. Le graphiste est toujours l’intermédiaire entre le client et son message, et là nous étions responsables du contenu et du message et bien sûr de sa mise en forme. Cela nous a également conféré une certaine responsabilité : quel est notre avis, comment allons-nous le traduire en une image publique qui fasse sens pour le lecteur du journal. Nous avons pris conscience de notre statut en tant que designer et cela a aussi préfiguré, d’une certaine manière, le projet de WDCD. Parce que pour cet événement, nous avons également essayé de réfléchir sur le rôle et l’influence du designer et du design en général. Et en tant que De Designpolitie, nous nous sommes occupés du design de WDCD. Il y a donc deux « marques » séparées mais qui sont, bien sûr, liées.
Parce qu’en fait, plus qu’un lien, il semble qu’il y ait une progression, une évolution… dans l’engagement social d’une part et dans l’autonomie du contenu d’autre part. Pour commencer, pouvez-vous m’en dire plus sur l’évolution de votre engagement social ?
Je pense que c’est aussi dû à l’expérience. Comme je l’ai dit, nous faisons ce métier depuis maintenant 18 ans. Quand vous commencez, vous voulez simplement faire les choses. Vous souhaitez avoir tel type de client parce que c’est excitant. Mais au bout d’un moment, vous vous rendez compte que vous faites toujours la même chose. Pour nous, c’est devenu tellement manifeste que nous nous sommes demandés « pourquoi faisons-nous ce que nous sommes en train de faire ? ». Et avec Gorilla nous avons toujours voulu faire des choses mais pour WDCD, nous avons en outre accordé de l’importance aux gens, nous étions un connecteur, et ça c’est autre chose. Donc si vous faites référence à cet « engagement social », alors oui, c’est un engagement envers la société mais aussi auprès de la communauté de designers et sur la manière dont on peut rassembler les gens en général. Mais le plus drôle c’est que nous avons toujours fait cela de notre point de vue de designer.
Et pour ce qui est de l’évolution dans l’autonomie du contenu ? Du statut d’intermédiaire à celui d’auteur puis de connecteur.
J’ai parfois des difficultés à être l’intermédiaire, parce que lorsque vous traduisez quelque chose pour quelqu’un, il peut y avoir une sorte de désaccord, une tension : un client perçoit les choses d’une manière différente et il vous arrive de vous dire « mais pourquoi me demandez-vous de faire ça ? ». Mais être auteur suppose d’autres problèmes, parce que même avec Gorilla on travaille pour un client, le journal, qui nous a engagé. Dans ce cas, vous vous comportez comme un auteur. Si ce client vous pose une question et que vous devez y répondre, il est alors possible d’être considéré comme auteur. Et grâce à cet événement, WDCD, nous pouvons endosser tous ces rôles à la fois : nous sommes graphistes, conservateurs, organisateurs, connecteurs, etc. Et c’est sympathique.
Êtes-vous satisfait du niveau que vous avez atteint (dans les deux domaines) ?
Il y a aussi beaucoup de frustrations. Je pense que, pour la plupart des créatifs, la frustration ou l’insatisfaction de certaines choses vous poussent à en entreprendre d’autres. Vous vous êtes aussi rendue compte que, au cours de notre carrière, si l’on ne parvient pas à entreprendre quelque chose pour un client, alors on le fait pour nous-mêmes. Pepijn et moi sommes davantage intéressés par le projet en lui-même que par la relation avec le client. Il y a parfois des projets magnifiques qui ne voient pas le jour pour des raisons politiques. Tout cela est très frustrant. Un projet comme Gorilla nous a donné une liberté totale. Nous n’étions responsables que d’une chose, plaire au lecteur ; et lorsque les gens n’apprécient plus ce que vous faites, alors vous disparaissez. Avec WDCD nous avons pu instaurer nos propres codes et cela va devenir plus important encore pour nous dans les prochaines années.
Pour toutes ces initiatives, on reconnaît davantage votre mentalité, votre envie de susciter un débat, que votre style.
Oui et non. C’est vrai qu’au travers de nos projets, que ce soit pour Gorilla, De Designpolitie ou encore WDCD, nous avons toujours essayé de susciter des réactions ou des prises de position. C’est à ce moment-là que l’on peut avoir des discussions intéressantes. Mais nous avons aussi un certain style. Celui-ci est perceptible dans notre graphisme mais aussi dans notre ton, dans notre manière d’appréhender les choses. C’est notre écriture, c’est quelque chose que l’on ne peut pas simplement retirer. Notre style est aussi très important. Et je dis ça de manière générale, donc pas seulement le fait que nous utilisions beaucoup de rouge ou de bleu, mais aussi notre ton, notre approche ironique.
Je considérais que le ton faisait partie de l’esprit, mais finalement on ne peut pas le dissocier du style.
Exactement.
Dans votre travail pour De Designpolitie et Gorilla , le rapport au temps n’est pas du tout le même, comment avez-vous géré cela ?
Pour la presse, nous devions rendre un travail six fois par semaine (maintenant que nous travaillons pour un magazine hebdomadaire, c’est autre chose), donc une fois le travail terminé, celui-ci partait immédiatement en impression. Du coup, il y avait aussi beaucoup d’erreurs. De temps en temps on se disait que ce n’était pas terrible mais il nous arrivait aussi de penser que c’était vraiment bon. Ce que je veux dire par là, c’est qu’au bout de plus de six années de ce travail, Pepijn et moi nous sommes habitués à ce rythme, nous savions comment faire. Au début nous étions vraiment très anxieux et nous avions peur d’échouer. Nous étions très impressionnés par tous ces gens des médias qui faisaient cela tous les jours. Et puis, au bout d’un moment, on finit par prendre le rythme si bien qu’aujourd’hui nous faisons les choses aussi naturellement que si nous mangions ou buvions. C’est aussi agréable de voir que l’on peut mener à la fois des projets à rendre dans un délai de temps très court et rapide et des projets qui s’étalent sur des semaines voire des mois.
La gestion d’un travail de l’un peut-elle en influencer un autre ?
Ce qui est amusant c’est que, pour Gorilla, nous avons travaillé dans des délais courts et après coup il nous arrivait de trouver que la composition, le concept et l’ensemble, tout était parfait. Et nous pouvions travailler sur quelque chose pendant des semaines… et n’arriver à rien. Ça ne s’explique pas. Parfois c’est une bonne chose d’aller vite. Mais quand vous avez du temps vous l’utilisez entièrement. Si vous avez six semaines devant vous, vous allez reporter jusqu’à arriver à la dernière semaine, vous avez eu cinq semaines pour réfléchir et il ne vous reste maintenant que quelques heures. Vous procédez finalement de la même manière en ayant beaucoup ou peu de temps. Je ne l’explique pas mais c’est comme ça que nous fonctionnons.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
La créativité en général. C’est une des raisons qui nous a poussés à lancer WDCD. Je trouve qu’il est très inspirant de voir chez les autres la passion et l’envie d’entreprendre, dans quelque discipline du design que ce soit. Et à côté de ça, je lis beaucoup, j’aime la littérature.
Selon vous, quelle est la responsabilité sociale d’un graphiste ?
C’est une vaste question. En premier lieu, la « responsabilité » comme vous dites, c’est ce que vous décidez. Je pense qu’un graphiste n’est pas tenu d’être engagé socialement. Si vous n’éprouvez pas le besoin de le faire, il ne faut pas se forcer, ça sonnera faux. Mais en tant que designer graphique — qui est un terme un peu dépassé, de nos jours vous êtes davantage un designer media ou un designer de communication, peu importe la façon dont on le nomme —, on a accès à toutes sortes de médias, y compris les médias de masse qui peuvent atteindre n’importe quel public. Par exemple, lorsque vous êtes dans le design d’objet, vous créez un fauteuil et si celui-ci a du succès, il sera reproduit à des centaines voir des centaines de milliers d’exemplaires. Mais l’effet ne sera jamais identique à celui que peut obtenir un designer de communication. Vous travaillerez toujours avec des messages ou des histoires, ça a plus d’effet sur les gens. C’est dans ce sens que l’on a, en tant que designer graphique, une responsabilité : « Que faire du message de ce client ? Comment le traduire dans un média ? ». Prenons par exemple WDCD. Il y a deux ans nous avions fait appel à un photographe, Oliviero Toscani. Il était le directeur artistique de Benetton et il avait lancé dans les années 90 une campagne très connue mais aussi très controversée puisqu’elle abordait des sujets comme la haine, la discrimination et la religion. Ce qu’il a très bien réussi, à mon sens, c’est d’avoir su profiter de la renommée de Benetton et du pouvoir de diffusion des médias de masse pour communiquer sur d’importants problèmes de société. On peut parler aussi de First Things First manifesto 2000, qui a été co-écrit par de nombreux designers réputés. Dans ce manifeste, ils posent ces mêmes questions : « Que faites-vous en tant que designer ? Mettez-vous vos compétences au service de la publicité pour shampoings ou yaourts, ou bien essayez-vous de sensibiliser la société à des valeurs ? Comment y parvenir en tant que designer ? ». Beaucoup d’entreprises et d’organisations ont accès aux médias et les utilisent à mauvais escient et beaucoup de graphistes connaissent ces dérives. C’est là, selon moi, que repose la responsabilité sociale du designer.
En tant que graphiste, spécialement dans le cadre d’un projet comme Gorilla, jusqu’où votre engagement peut-il aller ? Quelle est votre part d’objectivité ?
Nous essayons de traiter l’actualité et les problèmes de société avec une certaine distance. Par exemple, lorsque nous sommes en période électorale aux Pays-Bas, plusieurs partis politiques se disputent et nous essayons d’adopter une attitude critique pour chacun d’entre eux. Mais il faut bien l’avouer, c’est impossible de rester complètement objectif, vous aurez toujours une opinion sur ce qu’il se passe. Ça peut aussi concerner l’actualité, lorsque celle-ci va trop vite. Pour les crises, comme par exemple en ce moment au Moyen-Orient, nous n’avons pas suffisamment d’informations pour prendre du recul. Donc nous essayons de communiquer aussi sur le traitement médiatique qui en est fait.
« Quel impact le design peut-il avoir ? »(1)
[Rires]. Oui, une question que nous avons inventée ! Je pense qu’il peut avoir une grande influence mais pas sauver le monde. C’est juste une pièce du puzzle. Mais ce dont je suis sûr, c’est que les entreprises, les gouvernements et les organisations, pourraient avoir recours au design à des fins meilleures. Mais les designers pourraient également davantage décider de leur travail, être moteurs de changement. Évidemment, vous aurez toujours besoin de graphistes, de clients ou d’organisations, d’un public ou d’un consommateur, d’un gouvernement pour vous soutenir. Il y a toujours un grand nombre d’acteurs à impliquer.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
Il me semble très important de rester généraliste pour se tenir au courant de ce qu’il se passe. Ce n’est pas très malin de se concentrer sur une seule activité. Mais il faut malgré tout se doter de compétences spécifiques. En ce qui nous concerne, nous essayons de garder une vue d’ensemble sur les choses mais quand on en vient à nous demander ce qu’on peut faire, alors nous sommes des graphistes centrés sur « l’image iconique ». L’important est de développer des compétences personnelles et de cerner les différents médias avec lesquels on travaille, parce que tout est affaire de média. Il ne faut surtout pas se limiter aux imprimés ou au web design. Nous nous sommes récemment rendus compte que, depuis quelques années, tout ce qui concerne le digital et l’interactif — des sites web aux animations — fait partie intégrante de notre travail. Si l’on ne maîtrise pas ces nouveaux outils, on risque d’être hors course.
(1) What Design Can Do interroge comment le travail d'un designer peut avoir un impact à l'échelle de la société.