and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Patrick Doan
13-2-14
Quelle a été votre formation ?
J’ai d’abord fait Duperré en Arts appliqués pendant quatre ans, puis j’ai fait deux ans à Estienne en dessin de caractères. Au sein de ces deux écoles, j’ai pu faire des échanges dans le cadre du programme Erasmus, d’abord à la KABK à la Haye, puis à la Rietveld Academy.
Quel a été l’intérêt de passer par différents systèmes éducatifs ?
Il y a beaucoup d’intérêts. Le premier vient du mélange d’influences, au travers des collègues qui sont de toutes les nationalités et du fait d’être soi-même étranger. Ce ne sont pas seulement les enseignements qui sont différents, mais la vie de manière générale. On a un vrai dynamisme, une volonté d’assimilation qui fait que l’on réagi différemment. On se met dans une posture d’ouverture. Du fait de ne plus être dans le quotidien et nos repères, on a une toute autre disponibilité. Quant à l’enseignement lui-même, il y a certes une différence d’approche de l’enseignement aux Pays-Bas mais elle existe au sein même des Pays-Bas, entre les écoles. La KABK, par exemple, est une école beaucoup plus orientée sur le savoir-faire, la méthodologie et le design. La Rietveld Academy est beaucoup plus conceptuelle. Elle axe le travail sur la posture du designer et le rôle du design dans la société. Il y a une introspection très forte à la Rietveld Academy. Les deux écoles produisent des graphistes très différents. Lorsque l’on regarde la Haye, on va voir des grands studios tournés vers la conception d’identités visuelles (Dumbar, Thonik). La Rietveld va donner naissance à des graphistes davantage auteurs et expérimentaux, qui opèrent une démarche critique envers le design (Linda van Deursen).
Vous avez eu la chance d’expérimenter ces deux approches ! Comment ré-exploitez-vous cela en tant qu’enseignant et chercheur ?
Oui, j’ai vécu les deux et ça a été clairement différent mais extrêmement complémentaire. Ça me permet dans ma pratique d’enseignant d’être à la fois dans de l’apprentissage très concret mais aussi à un niveau beaucoup plus introspectif et critique. En tant que chercheur, l’enseignement à la Rietveld m’a poussé à prendre du recul sur ma pratique. Cela permet de développer un méta langage qui ouvre le champ de la recherche : vous développez un système ou une méthode d’analyse pour ré-explorer le sujet même de la discipline dans laquelle vous produisez. Vous voyez sous des angles différents des notions que vous mettez en œuvre quotidiennement dans votre pratique.
Votre sujet de thèse concerne le positionnement de la calligraphie dans un contexte numérique. Qu’est ce qui a motivé le choix de ce sujet et quelles sont vos attentes ?
J’enseigne la calligraphie comme un outil pour aborder la typographie. Je pense que la calligraphie, par sa pratique, nous forme, car je vois l’importance de certaines opérations d’attention que l’élève doit acquérir pour voir et comprendre. Je me rend compte qu’il y a un accompagnement et une opération cognitive pour être capable de calligraphier. Or, les techniques d’enseignement de la calligraphie restent encore très traditionnelles. Elles arrivent à un moment de l’histoire des technologies où l’écriture est menacée et la calligraphie déjà pratiquement oubliée, alors qu’on a de nouveaux moyens technologiques pour imaginer des dispositifs d’aide à la calligraphie. Je donne un exemple tout simple : aujourd’hui, on peut calligraphier sur un écran numérique relié à un ordinateur. L’ordinateur peut vous assister, vous suivre dans votre travail de tracé et, éventuellement, vous influencer et vous aider, à la manière d’un GPS. Il y a de nouvelles possibilités qui remettent en cause le synchronisme de l’enseignement de la calligraphie, c’est-à-dire l’accompagnement, l’autonomie, la notion de modèle… Ça m’intéresse en tant qu’enseignant. Une équipe de recherche à l’Université de Technologie de Compiègne, qui s’intéresse à la question de la description du geste scriptural et qui a contacté l’Ésad pour former le projet Descript a déclenché plus particulièrement mon envie de rechercher dans cette voie.
Cela rejoint le débat concernant l’abandon de la pratique manuscrite dans les écoles primaires au profit du numérique. Votre projet concilie gestualité de l’écrit et nouvelles technologies.
Oui. Bientôt, on ne pourra pas contrecarrer l’évolution. Le tapuscrit et l’ordinateur ont clairement pris le dessus. D’un autre côté, de nombreuses recherches démontrent que l’écriture participe à l’ancrage des compétences de lecture. Donc comment maintenir cette activité scripturale en bas âge ? Est-ce qu’avec des nouvelles technologies, permettant une modernisation de ces pratiques — en les rendant attractives, interactives et stimulantes — on ne pourrait pas améliorer cette approche de l’écriture chez l’enfant ?
Dans le projet GestualScript, vous expliquez comment le point de vue du design graphique a permis une autre approche de la langue des signes. Quelles sont les spécificités propres au regard du designer ?
Il y a un autre regard, non pas de la langue des signes, mais sur la question de la représentation de la langue des signes. Le graphisme a apporté une conception scripturale de l’écriture, qui implique l’inscription par le geste. Les scientifiques et les linguistes avaient décomposé la langue des signes en paramètres linguistiques et ensuite représenté chaque paramètre par des objets graphiques. C’est une représentation, mais elle n’est pas scripturale ; on n’est plus dans une transcription de l’écriture. La scripturalité nécessite une coordination visio-gestuelle avec un outil qui inscrit. Notre réflexe et notre intuition de designer a été de dire : avant d’imposer une représentation par défaut ou sans analogie, en imposant des formes qui n’ont pas de raisons naturelles, est-ce que l’on ne pourrait pas interroger la langue elle-même, les signes eux-mêmes, pour voir si dedans il n’y aurait pas une composante graphique préliminaire déjà existante, une genèse ? Or, la langue des signes et l’écriture ont une analogie de modalité, toutes deux sont visio-gestuelle. L’une trace dans le vide des objets graphiques ; elle représente par analogie et par associations d’idées des concepts et des objets qui sont visuels et gestuels. L’autre trace dans l’espace des objets graphiques qui peuvent avoir une analogie ou pas, mais qui ont un sens également. Mettre en parallèle ces deux pratiques, la langue des signes et l’écriture, c’est là où l’apport du design graphique a été fondateur de notre démarche.
À l’inverse, qu’est-ce que la langue des signes a apporté à votre perception de la calligraphie ? Vous évoquez des « stratégies d’inscription graphique » physiques, spatiales et temporelles.
Il y a peu d’influence de la langue des signes sur la calligraphie latine. En revanche, la question des signes nous a beaucoup aidés dans l’élaboration de notre théorie graphique à l’intérieur du sujet propre à GestualScript. Elle permet d’établir des notions théoriques sur la formation du langage et son fonctionnement. Puisque dans notre métier de graphiste on manipule du langage, cela s’ajoute à notre bagage et à nos outils conceptuels. Les couples linguistique/psychologie et design/calligraphie collaborent ensemble dans le cadre très précis de GestualScript.
Comment percevez-vous cet apport mutuel entre le design et des domaines qui lui sont extérieurs ?
Bien évidemment, l’apport du design pour le client est très important puisque c’est lui qui vient vers vous ! Cet apport est multiple, à différents niveaux. Souvent, de manière très étonnante, il est d’ordre stratégique. Ce que les étudiants ne voient pas, c’est qu’au-delà de la performance graphique, il y a une dimension d’analyse et d’accompagnement du client dans l’élaboration de ses problématiques. On appelle ça le brief stratégique. C’est un domaine qui n’est plus de l’ordre graphique mais de la communication et de l’information. Ce brief stratégique est un travail commun entre le client et le designer. C’est d’ailleurs la première partie et l’une des plus intéressantes d’une commande, car souvent le client lui-même a besoin d’aide pour savoir ce qu’il veut. Et ça, c’est au-delà du design. C’est un mélange d’expérience, de savoir-faire acquis grâce à différentes situations qu’on a eu a gérer, d’une aptitude à dialoguer et de faire émerger des idées communes… tout cela forme un fonds d’expériences réutilisables.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
Enseigner.
La maîtrise du dessin de caractère influence t-elle l’appréhension du design éditorial ?
Absolument. Elle permet une attention plus importante aux détails et elle donne des outils concrets et intellectuels supplémentaires, ne serait-ce que le vocabulaire que vous utilisez pour en parler et jouer avec, au-delà du côté purement intuitif. Vous vous appuyez sur une histoire, une culture, des codes. Le dessin de caractères ne vient pas uniquement par la compétence.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
De se donner les moyens d’explorer ses intuitions. En tant que jeunes graphistes et jeunes personnes créatives, vous avez naturellement une forte dominante intuitive formelle qui vous fait dire et faire des choses de manière implicite. Mais il vous faut une certaine discipline et la mise en place d’outils pour aller au-delà de cette intuition et découvrir de nouveaux territoires.