and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Lenoirschuring
Arie Lenoir
29-7-13
L’intérêt que vous portez au design graphique est rare pour un imprimeur. Comment est-il né ?
Revenons en 1973. Je n’étais pas vraiment intéressé par l’imprimerie mais quand mon père a acheté une imprimerie, j’ai commencé à m’occuper des comptes. C’est à cette époque que, pour la première fois, je me suis rendu compte qu’un imprimé pouvait se distinguer des autres par sa beauté. Je me disais « Ça c’est du bon travail. C’est magnifique. » L’imprimé en question était une création de Wim de Ruiter. J’ai alors cherché parmi les dossiers des travaux qu’il avait réalisés. Ce ne fut pas difficile car c’était bien plus beau que les autres travaux. À partir de ce moment-là, j’ai eu envie d’approfondir, d’aller voir les travaux d’autres graphistes. Le plus bel imprimé que je vis à cette époque avait été conçu par Wim Crouwel. Pour moi son niveau était impossible à atteindre. Puis mon père est tombé malade et j’ai dû reprendre la petite imprimerie. Au cours des années suivantes, il y eut beaucoup de changements, et nous avons réalisé de plus en plus de commandes émanant de graphistes. Notre instinct nous pousse à faire ce qu’il nous plait : c’est pour ça que je me suis orienté puis spécialisé exclusivement dans ce domaine !
Vous avez dit : « Les beaux livres sont ceux créés main dans la main », la bonne relation entre le graphiste et l’imprimeur est-elle le gage d’un meilleur livre ?
Oui. Cela va même plus loin car c’est une chaîne de plusieurs intermédiaires. Ça commence avec le commanditaire qui demande au graphiste d’élaborer un projet qui corresponde à ses attentes. Mais pour élaborer concrètement et correctement ce projet, le graphiste doit discuter des détails techniques avec l’imprimeur et le relieur. L’interaction entre chaque acteur du projet est donc très importante : entre le commanditaire et le graphiste, entre le graphiste et l’imprimeur, entre l’imprimeur et le relieur et entre toute autre personne impliquée. Meilleure est la coopération, meilleur sera le résultat. Voilà pourquoi nous disons que les beaux livres sont ceux créés main dans la main. L’expertise de tous les protagonistes est nécessaire.
Pour ce qui est de l’imprimeur, celui-ci doit bien connaître le graphiste pour être capable de fabriquer un produit au plus près de ses attentes.
Lorsque les graphistes ont des envies peu conventionnelles, que leur dites-vous ? Vous tentez de trouver une solution ou de les raisonner ?
Notre travail c’est de trouver des solutions. Je dis toujours qu’on peut tout faire, les seules limites sont le temps et l’argent. Si ce qu’ils souhaitent ne peut pas être fabriqué à l’aide d’une machine, vous pouvez toujours finir leur livre manuellement. Mais si nous prévoyons de faire des centaines d’exemplaires et que chaque exemplaire est unique, ça leur prendra beaucoup de temps et leur coûtera beaucoup d’argent. Dans la plupart des cas, un budget a été défini et on doit chercher à obtenir le meilleur résultat possible sans le dépasser.
Lorsqu’on me fait part du projet et de son budget, j’effectue mes calculs et j’informe le graphiste des conséquences de certains de ses choix. Par exemple, dans tel budget, on se rend tout de suite compte que les 25 % qui reviennent généralement au relieur vont se transformer en 75 % car le façonnage souhaité est très coûteux. Si le graphiste accepte un façonnage différent, il réalisera tout de suite 25 % d’économie. Mais il arrive aussi qu’un aspect du projet soit si important d’un point de vue graphique qu’aucune négociation n’est envisageable. Et si vous modifiez cet aspect, c’est tout le projet qui s’en trouve changé. Ces projets doivent pourtant être discutés. C’est toujours à travers une étroite coopération et une confiance réciproque et que vous puissiez faire des choix qui mèneront au meilleur compromis. Cela relève simplement du bon sens. Le design vous amène à expérimenter et faire des choix. Tout ce cheminement fait partie du design.
Il arrive qu’il en ressorte de bonnes surprises.
Souvent, lorsque vous avez un budget limité, vous pouvez être amené à faire des choix surprenants. Alors que si vous disposez d’un budget confortable, vous pourrez faire tout ce que vous souhaitez mais, en un certain sens, c’est assez facile. Souvent, les contraintes vous incitent à faire des choix bien marqués et quelque chose de singulier en ressort. Ce n’est donc pas toujours un désavantage. C’est ça qui me plaît énormément. Vous avez envie de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire. C’est ça le graphisme.
La série Vouwblad témoigne d’un réel engagement de votre part pour la création en design graphique. Au-delà de la relation commerciale, on a l’impression que vous êtes de véritables partenaires. Pourquoi et comment avez-vous commencé ce projet ? Quel est son objectif ?
J’ai simplement repris une idée existant déjà dans les années 50. C’est alors que les métiers autour du design se sont développés. Avant la Seconde Guerre Mondiale, le design faisait partie du travail de l’imprimeur. Ce n’est qu’après que le métier de designer graphique est apparu. L’exemple de Kwadraat-Bladen par Steendrukkerij de Jong, notamment, est connu. Steendrukkerij de Jong est l’une des premières imprimeries à s’être intéressée aux graphistes. Chez eux, on ne s’occupait pas de design, mais Pieter Brattinga, le gérant de cette imprimerie, était sensible à la beauté des objets graphiques. Ils ont imprimé les Kwadraat-Bladen, des petits imprimés carrés de 25 centimètres formant une série de livres créés par des artistes et des graphistes. La présentation de ces ouvrages fut suivie d’une série de rencontres et de festivités qui étaient très renommées dans la vie culturelle Hollandaise. Les grosses imprimeries, qui continuaient de travailler comme elles l’avaient toujours fait, c’est-à-dire en s’occupant elles-mêmes de tout, les prenaient pour un petit groupe de fantaisistes qui se faisaient plaisir. Mais ils ont fabriqué de magnifiques imprimés ! Certaines imprimeries et le graphisme se sont donc développés ensemble. J’ai simplement repris l’idée parce qu’ils étaient un exemple pour moi. Lorsque l’on dirige une entreprise, le leitmotiv est « sois bon et fais le savoir ». Pour nous, par exemple, cela consiste à envoyer deux fois par an de beaux imprimés conçus par un designer graphique et présentant son travail. C’est ainsi qu’est né Vouwblad. Je pense que c’est là la coopération idéale entre une imprimerie et un graphiste. Et ça fonctionne !
À quoi faites-vous attention lorsque vous tenez un livre dans vos mains pour la première fois ?
À tout. Il y a toujours quelque chose de spécial à propos d’un livre, un petit détail qui surgit. Il y a toutes sortes d’impressions qui sont immédiatement mises en avant par l’imprimé : le décalage entre l’aspect extérieur et le contenu, comment ça peut être bien fait en toute simplicité, la cohérence…
Les imprimeurs sont toujours en train de se plaindre des graphistes, mais vous n’avez pas cette réputation. Auriez-vous toutefois des conseils à leur donner ?
Vous ne nous entendrez jamais nous plaindre d’un graphiste. Bien au contraire. Ils donnent un sens à notre travail en nous confiant des imprimés singuliers. Pouvoir répondre à leurs attentes est vital au sein de notre imprimerie, c’est notre raison d’exister et d’exercer. Je suis ravi qu’il y ait des gens qui se soucient de la qualité d’impression. S’ils ne pouvaient pas voir de différences, ils enverraient leurs travaux en PDF aux grandes imprimeries sans soucis du détail et nous ne serions pas là. Alors, je vous en prie, soyez difficiles autant que possible !
Il y a parfois des questions dont je ne connais pas la réponse. Il faut alors faire des tests, lesquels sont financés par le client ou par l’imprimerie. C’est agréable de cheminer ensemble vers ces découvertes. Lorsqu’il s’agit d’un projet complexe, nous n’avons pas d’emblée toutes les réponses, mais on finit par trouver des solutions en se dépassant ; c’est cela qui est plaisant, que tout le monde puisse être fier du résultat. Il ne faut jamais dire que c’est impossible, souvent, on est étonné des avancées que l’on peut faire ! La situation n’est pas évidente pour un graphiste car il doit se focaliser sur sa propre créativité, c’est là sa richesse. C’est ce qu’ils ont de plus précieux. Ils doivent la développer autant que possible et s’entourer de gens en qui ils peuvent avoir confiance et qui leur apportent des compétences qu’ils ne possèdent pas. Ils ne devraient pas avoir à se soucier des contraintes techniques. Pour autant, ils doivent en savoir assez sur leurs limites pour éviter les absurdités. Il faut trouver l’équilibre entre les connaissances techniques et ne pas avoir de limites pour pouvoir avancer, et cela peut être difficile. Il y a toujours un risque mais il arrive qu’on prenne ce risque et que le résultat soit extrêmement gratifiant. Ou que ce soit une erreur. Cela fait partie du jeu.