and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Max Kisman
25-6-13
Votre travail reflète un engagement social, comme le prouve votre participation au Illustration Daily. Qu’est-ce qui vous a poussé vers ce domaine ?
D’une certaine manière, tout le monde est plus ou moins engagé socialement. Pour la simple et bonne raison que toutes nos actions ont une répercussion sur les personnes qui nous entourent. Mais l’on peut avoir différents objectifs (commerciaux, sociaux, solidaires ou politiques). À vrai dire, quand j’ai intégré mon école d’art, dans les années 70, l’actualité politique était très dense. On était en plein dans la guerre du Vietnam et la Guerre Froide. On parlait de la bombe à neutrons et de la menace nucléaire. De nombreuses incertitudes pesaient sur le climat social. En tant qu’étudiant, on était conscient de la situation et notre attitude était plus ou moins critique. Ça c’était une chose. Pendant les cours de graphisme, on se rendait également compte que notre travail avait un certain impact sur les gens à qui l’on s’adressait ou pour qui et avec qui l’on travaillait. On pouvait montrer l’information sous un angle différent, en particulier l’information visuelle, rien qu’en modifiant une ou plusieurs de ses caractéristiques. C’est comme pour les photographies, la manière dont vous les prenez peut suggérer si c’est une représentation de la réalité ou non. Parce que c’est une question de point de vue. Si vous essayez de faire la même photographie mais en changeant de position, vous obtiendrez un angle différent. Ainsi, différents points de vue changeront l’interprétation de la réalité. L’idée même du pouvoir de manipulation qu’offre la communication implique désormais une énorme responsabilité pour celui qui participe à l’élaboration de l’information : qu’est-ce que vous écrivez ou montrez et qu’est-ce que vous laissez de côté ? Il faut ajouter qu’avant l’ère de l’informatique, le photomontage était très développé. Il y avait de très bons exemples de manipulation de photographies dans les journaux. Je prenais conscience de ça à l’époque. D’un côté, nous avions un professeur, Jan van Toorn, qui enseignait l’engagement social et cette philosophie. D’un autre, il y avait Wim Crouwel. C’était deux approches du graphisme : Wim Crouwel et l’influence suisse et Jan van Toorn. La différence entre les deux concerne surtout la question de la responsabilité d’un graphiste. Peut-on dire « Je ne suis pas responsable, je fais juste mon travail, je place mes lettres et je fais de belles choses » ? Ou bien peut-on reconnaître que ce que l’on crée aura un effet sur ce pourquoi il est utilisé. Voilà mes antécédents.
Vous invoquez le contexte. Mais sans doute avez-vous décidé du type de projet sur lequel vous avez eu envie de travailler, au début ?
J’ai commencé à travailler avec un ami et nous avons beaucoup cherché à donner notre interprétation et notre traduction des problèmes de design. Nous étions très impliqués dans le design et le processus éditorial. Je pense que l’on peut traduire l’engagement social par l’engagement éditorial parce que l’on fait partie du processus éditorial. Le design ou la mise en page ne sont rien d’autre que le résultat du processus éditorial : quel contenu choisi-t-on et utilise-t-on ? De quelle façon le présente-t-on et dans quel ordre ? C’est la mise en forme du contenu dont il s’agit. Ce n’est pas encore visuel, et ensuite c’est traduit en design. On peut dire que le design est juste la partie technique, mais à mon avis, cela doit faire partie du processus dans son ensemble et, en tant que designer, vous devez être impliqué dans le processus de A à Z.
Quel est le rôle d’un designer dans notre société ?
Son ou sa responsabilité est de rendre l’information accessible, par tous les moyens possibles.
Avez-vous un devoir d’objectivité en tant que graphiste ?
Je n’ai aucun point de vue objectif et je ne veux pas en avoir un. Le contexte dans lequel nous travaillons n’est pas objectif, rien ne l’est jamais. Tout n’est qu’interprétation et traduction parce que rien n’est vrai. La vérité n’existe pas. À vrai dire, cela n’a pas beaucoup d’importance. C’est bien de faire les choses selon son propre point de vue et d’avoir cet engagement, parce que c’est la seule manière de pouvoir le faire. Donc je pense que c’est très important de permettre tous les différents moyens d’exprimer son opinion, que l’on soit d’accord ou pas.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
La musique, l’art, les voyages, le langage, mes enfants…
À propos de typographie, dans une interview donnée avec Peter Bil’ak en 1994, vous avez dit « il n’y a pas de signification dans le dessin de caractères, tout n’est qu’ornement ». Vous appréciez en revanche le graphisme qui est « stimulant, brutal et qui prend des risques, qui n’est pas commercial et qui exprime des idées et des émotions, qui est engagé au sein de la société »(1). Ne pensez-vous pas que ces notions puissent être attribuées à la typographie ?
Oui, en fait, c’est une question de personnalité. Si vous êtes une personne engagée, cela se ressentira dans votre travail, dans les choix que vous faites. Je pense, en gros, que la typographie permet d’ornementer le contenu. On a besoin de typographie qui facilite la lecture. N’importe quel choix pris par un typographe reflète la manière dont l’information sera représentée. Je pense que l’ornement montre une identité différente et ainsi dirige l’information. Je n’ai pas vraiment répondu à la question, je sais…
Tijd, We love your, MaxMix-One… Ces typographies illustratives ne sont-elles pas justement décoratives ?
Je ne me considère pas vraiment comme un typographe, je dessine des lettres. Je créé ma propre typographie pour renforcer l’identité d’un produit plus que je ne fais appel aux références culturelles d’une typographie. Ce sont des caractères de titrage. Je ne les ai jamais créées en tant que formes décoratives, il y a toujours une idée en filigrane qui repousse les limites de la forme de la lettre. Je ne les définirais donc pas comme des typographies illustratives.
Vous avez un bagage typographique, de quelle manière influence-t-il vos illustrations ?
Je ne considère pas mes images comme des illustrations, je les vois plutôt comme des pictogrammes et des « symboles graphiques picturaux ». Leur relation avec la typographie ou avec les formes graphiques est plus forte qu’avec des illustrations. On peut voir ce lien avec la typographie dans l’affiche pour Paradiso de John Cale, par exemple, ou la relation entre la forme et la contre forme que j’ai exploitée un peu plus tard dans l’affiche Tegentonen, avec des formes géométriques. Ces expérimentations expriment une sorte d’engagement, celui de vouloir repousser les limites de la typographie et du design. La ligne courbe est un autre aspect qui est important dans mon travail. Le meilleur moyen d’obtenir une ligne courbe parfaite est de la dessiner à la main. Cette préoccupation me vient de mon professeur de typographie, Gerard Unger. En un sens, la relation avec la typographie est ici aussi plutôt claire.
Votre devise est « la complexité de la simplicité ». Cela implique certains choix… Par exemple, pour illustrer des articles de journaux, vous avez dit que vous faisiez des « gros titres visuels ». Pouvez-vous m’en dire davantage sur cette notion de choix dans votre travail ?
Quelquefois c’est assez dur. Aujourd’hui je travaille sur une illustration sur la situation en Syrie pour un journal financier. Après avoir lu l’article, je suis toujours en train de chercher une ou deux valeurs opposées, que je puisse utiliser comme une narration de l’image. Je cherche une sorte de vocabulaire universel, sans trop l’illustrer ni la traduire de manière trop littérale. Chercher des éléments visuels qui symbolisent une interprétation. Si l’on place la même image dans un contexte différent, elle sera lue différemment.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
Il me paraît très important de garder une trace de vos idées, de ne pas les garder simplement en tête : prendre des notes, dessiner, faire des croquis. Cela vous aidera à développer et à visualiser vos idées et vous découvrirez ainsi vos limites. Et vous pouvez utiliser les limites de vos compétences pour vous développer différemment. L’originalité se niche davantage dans l’idée de limite que dans l’idée de possibilité. Faites de ces limites un avantage : si vous les connaissez, vous pourrez alors essayer de les développer pour en faire votre signature. Mais ce qui compte le plus c’est la pratique, quotidienne et assidue, à la manière des athlètes professionnels ou des musiciens. Il faut entretenir ses compétences techniques mais aussi savoir comment s’en servir et quels choix adopter. Le graphisme est une question de choix. Que ces choix soient bons ou mauvais importe peu. Le fait de choisir est plus important que le résultat de ce choix.
(1) Max Kisman, graphic designer, by Peter Bil'ak, 2004, https://www.typotheque.com/articles/max_kisman_graphic_designer