and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Joost Grootens
28-10-13
Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’information brute ? Vous avez dit que les listes avaient leur propre poésie.
Je trouve que les listes ont une certaine beauté, je ne peux pas l’expliquer. En tant que graphiste, la plupart du temps, je me pose la question suivante : de quoi ai-je besoin ? Dois-je ajouter quelque chose ? C’est déjà là. Il y a deux possibilités. D’un côté, je préfère les listes et l’information brute. D’un autre côté, je suis aussi intéressé par les livres qui sont des outils d’information. Je prends au sérieux les lecteurs. Je ne veux pas leur débiter une histoire ou leur faire un récit. Je veux leur rendre compte des faits sans contrôler la manière dont ils vont se les approprier, de sorte qu’ils puissent trouver par eux-mêmes que 1 + 1 = 2. Les lecteurs sont bien souvent plus avertis que moi. Il me suffit de leur présenter simplement les choses et ils tireront leurs propres conclusions, celles auxquelles je n’aurais moi-même pas pensé.
La quantité d’informations est une chose, mais la façon dont on l’interprète en est une autre. Et c’est probablement ce qui la distingue de la simple data visualisation.
Beaucoup de représentation en data visualisation ne me semble être que de l’embellissement d’une quantité d’information. C’est juste de la beauté pour la beauté. On pourrait appeler cela de la data pornographie. Je veux rendre l’information intuitive pour que l’on puisse la comprendre sans même la lire. Je voudrais qu’à un mètre de distance, l’information puisse être lisible : comprendre que cette couleur-là a un rapport avec cette information-ci. Des choses aussi simples que ça. Dans le livre du Metropolitan World Atlas par exemple, la couleur orange est constamment utilisée pour représenter l’aspect urbain. Et plus les pages sont oranges, que ce soit des pages de plans ou de données, plus la ville est citadine. Cela peut signifier soit qu’il s’agit d’une zone de développement, soit que certains indicateurs (comme la population, l’intensité du trafic, l’économie, etc.) sont importants. Toutes ces valeurs, reliées les unes aux autres, sont comme des ingrédients pour une ville et vous la comprenez grâce à eux. Alors au lieu de visualiser immédiatement l’information, je commence par faire un pas en arrière et je regarde comment on pourrait la rendre intuitive. C’est le but du travail de design.
Comment parvenez-vous à faire des choix ? Par exemple, pour I swear I use no art at all, il y avait plein d’autres façons de traiter le sujet. Ne vous sentez-vous jamais assailli par toutes ces possibilités ?
Oui, c’est vrai. C’est aussi frustrant. Parce que c’est une solution, mais à partir du même sujet, vous auriez pu en faire vingt autres chaque fois différents mais tout aussi légitimes. Mais il y a quelque chose de plaisant dans cette frustration : savoir que le design ne propose pas une seule et unique solution. Ai-je le sentiment d’être assailli ? Oui, cela peut m’arriver. La plupart du temps, je commence mes recherches en feuilletant d’autres livres. Si je dois faire un livre comme « I swear » ou un livre comme Metropolitan World Atlas, je commence par regarder les autres atlas ou monographies et je me laisse aller à mes premières impressions. Qu’est-ce qu’une monographie ? Comment la traiter ? Qu’y a-t-il en couverture ? Quelle est la taille appropriée ? Parfois, j’ai envie de suivre ces pistes mais il m’arrive aussi de réagir contre certaines. Je m’intéresse au contexte du livre. Pour Metropolitan World Atlas, j’ai fait de nombreuses recherches sur Internet. Je pense que c’est un livre qui rend compte des sites web, des nouvelles façons de s’informer. Il est question de Google Maps et l’on pourrait dire, en un sens, que ce livre représente Google Earth. Pour le livre « I swear », je me suis plongé dans d’autres livres et j’ai pris beaucoup de notes. Je ne voulais pas faire un livre qui soit uniquement un éloge de notre travail mais je voulais qu’il soit la mémoire du studio et des choses que nous avions faites. Et pour moi c’était bien plus intéressant de pouvoir l’utiliser littéralement comme un outil : un annuaire ou un mémo des grilles et typographies à utiliser. Une fois le concept trouvé, la structure du livre en découle naturellement. On peut avoir le sentiment de crouler sous le poids de toutes ces possibilités mais si l’on s’intéresse au contexte du livre et si l’on réfléchit au concept qui lui correspondrait le mieux, cela devient beaucoup plus facile pour moi de réfléchir à son design.
De plus, le livre limite d’une certaine manière l’information…
Oui, en un sens. Nous sommes désormais dans un monde où s’entrecroisent de nombreux flux d’information. Le livre, d’une certaine manière, les fige. Il les contient, les arrête et donne une version simplifiée de notre réalité si complexe.
Vous ne vous contentez pas de représenter clairement une information, vous en faites une histoire. N’est-il pas alors question de manipulation de l’information ? Que dire de l’impératif de neutralité ?
Je ne pense pas que l’on puisse être absolument neutre mais c’est bien d’essayer d’y parvenir. Je me suis rendu compte que c’était presque impossible. Si l’on prend le livre pour lequel j’ai essayé d’être le plus neutre possible – Atlas of the Conflict – je ne pense pas qu’il ait été important pour le lecteur de savoir quel était mon avis sur ces conflits. J’ai donc essayé d’être neutre en proposant un graphisme très simple qui n’occulte pas le contenu. C’est ma manière d’être neutre, permettre au lecteur de faire ses propres choix. Pour ce livre, j’ai également écrit une introduction intitulée « Notes on the design », qui explique chacun des choix graphiques que j’ai pu faire. Donc, en tant que lecteur, vous savez : « Ah, ce livre a été conçu par quelqu’un. Le contenu ne sera pas objectif ». C’est en quelque sorte une clause de non-responsabilité.
Vous traitez l’information dans son ensemble, qu’il s’agisse de sa représentation graphique ou de sa matérialité. Donc il s’agit vraiment de design d’information à travers le médium du livre. Tous les choix sont faits pour servir l’information (couleur, papier). La subjectivité du graphiste est donc absente du contenu mais ne l’est-elle pas également de la forme ?
Ces livres sont très pensés. Ils ont nécessité de nombreuses décisions de design. Mon but était que le lecteur s’intéresse autant que possible au contenu. Et pour cela il a fallu travailler le design, je ne peux le nier. Ce ne sont pas des paramètres définis par défaut. En tant que designer, on devrait également essayer de traduire un projet en une série de décisions graphiques. Ces décisions seraient du type : quel papier correspondrait le mieux ? Quel type d’encre choisir pour obtenir cette couleur orange là ? Il doit se démarquer. Pour Atlas of the Conflict, la taille du livre est très spécifique. Elle est très étroite pour s’adapter à la carte.
Donc le design est lié aux données, et non l’inverse.
La forme découle du contenu et non le contenu de la forme. Dans ce sens, oui.
Et certaines de ces décisions sont purement économiques. Il faut travailler en fonction des restrictions de budget, selon les possibilités qu’elles offrent et faire en sorte que le lecteur ne se rende pas compte de ces contraintes.
Vous avez un passé d’architecte. Influence-t-il votre manière de considérer et d’élaborer un livre ?
Pour moi, il est très facile de zoomer ou dézoomer sur du contenu, de travailler à différentes échelles. Il est très facile d’avoir à la fois une vue d’ensemble et le souci du détail. Cela aide.
Ce qui fait aussi la différence, pour moi, c’est que l’information prime dans tout plan d’architecte, et non pas l’image en elle-même contrairement aux photographies ou peintures. Donc si j’utilise un dessin d’architecture, je joue souvent avec, je peux le changer, je peux l’ajuster… J’ai fait un livre un peu plus tôt dans l’année pour un bureau d’architectes (MVRDV Buildings). Nous avons décidé qu’il était important de coloriser l’ensemble des dessins. C’est quelque chose que j’ose faire car, pour moi, ce n’est pas quelque chose de particulier. Ce n’est que de l’information et le fait de la colorer clarifie le lien entre les photos et les dessins.
Troisième et dernière chose, je dirais que je peux plus facilement échanger avec des architectes parce que je les comprends, je connais un peu leurs références, les livres qu’ils ont lu…
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
J’aime bien lire. Regarder des films. J’aime visiter des bâtiments et des sites, je suis un touriste d’architectures. Voilà le genre de choses qui m’inspirent.
Selon vous, à quel point l’évolution de nos sociétés influence-t-elle la manière dont nous représentons l’information ?
Je pense qu’en tant que graphistes, c’est-à-dire en tant que personnes sensibles aux mouvances de la société, nous devrions être constamment au courant de ce qu’il se passe. J’éprouve la responsabilité de faire des livres contemporains. Dans mon travail, je réagis beaucoup aux évolutions de la société. En ce sens, le petit livre Atlas of the Conflict que l’on tient contre soi et avec lequel on créé une relation intime ne semble pas appartenir à cette réalité saturée d’information. D’un autre côté, nous utilisons aussi nos smartphones, donc nous sommes habitués aux objets de petite taille.
J’enseigne également et je pose souvent à mes étudiants les questions suivantes, qui sont pour moi des plus importantes : Pourquoi ce que vous concevez est-il important en cet instant ? Pourquoi faites-vous ceci en cet instant ? Pourquoi auriez-vous fait quelque chose de différent il y a deux ans et pourquoi feriez vous quelque chose encore une fois de différent dans cinq ans ? Je pense que nous avons le devoir d’être contemporains.
Et en ce qui concerne la manière dont on représente l’information ? Parce qu’il y a vingt ans, la manière dont on la représentait était peut-être différente d’aujourd’hui.
Oui, c’est exact. Les lecteurs de livres disposent de nombreux autres moyens d’expérimenter l’information. Ils travaillent sur leur smartphone, ils s’organisent grâce à leur ordinateur, ils cherchent des images sur Google. La culture de l’image n’était pas aussi développée il y a vingt ans. Pour le livre MVRDV Buildings, par exemple, nous avons fait le choix de représenter les bâtiments par des photographies prises par ses habitants ou par des amateurs et non seulement au moyen de photographies professionnelles. Il y a beaucoup de photographies non architecturales, des instantanés et des images prises par des touristes. Il y a aussi beaucoup d’images. Je pense que les gens savent désormais traiter beaucoup plus d’images à la fois. Il y a ces vues d’ensemble conçues à la manière des « pages images » de Google. C’est davantage spatial.
Nous ne devons pas oublier que, même lorsque nous créons quelque chose de classique et de désuet, comme un livre, le lecteur reste une personne du monde numérique.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
Vous faites partie d’un monde à dimension internationale. Si vous le pouvez : visitez, voyagez, partez étudier à l’étranger, apprenez d’autres langages et rencontrez d’autres personnes. Le monde est désormais plus global. Je suis très heureux de côtoyer dans ce studio cinq autres nationalités. Une autre chose est que, dans ce monde global où chaque chose tend à s’uniformiser, nous utilisons tous les mêmes caractères, les mêmes logiciels, nous regardons tous les mêmes blogs, lesquels deviennent des sortes de références… il est donc très important de rester fidèle à soi-même, d’être unique. Exploitez donc vos propres expériences et vos acquis dans votre travail.