and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Joost Swarte
21-6-13
Comment êtes-vous passé de l’illustration à l’architecture du Toneelschuur ?
C’était en 1995, j’ai été sollicité par l’organisation du théâtre pour dessiner le nouveau théâtre. C’était une demande un peu bizarre parce que je ne suis pas architecte. Je travaillais depuis longtemps avec eux. Je faisais les affiches, le graphisme de la revue du théâtre…
Qu’est-ce qu’un regard d’illustrateur peut apporter à l’architecture ?
Je me sens assez libre. Je pense que je me déplace parmi les gens qui travaillent dans le bâtiment, ou bien le public, les gens qui habitent dans le quartier… Donc je n’ai pas trop réfléchi aux constructions. Même si je sais un peu ce que l’on peut faire en architecture et que je m’y intéresse depuis longtemps, je réfléchis un peu différemment à tout ça.
Vous êtes un des représentants du style que vous avez nommé la « ligne claire ». Comment le réexploitez-vous dans d’autres domaines ?
La ligne claire est un style de dessin qui est plus proche de la langue que ne l’est la peinture. Le but du dessin dans la BD est de communiquer des idées, le dessinateur donne une information et c’est le lecteur qui va imaginer ce que le dessinateur veut dire. C’est donc plus abstrait et cela me donne le moyen de donner une importance aux détails avec précision. C’est aussi proche de l’alphabet. Donc pour moi c’est facile de faire de la typographie. J’aime beaucoup l’alphabet, la typo dessinée à la main. Construction, typographie et abstraction sont tous les termes propres à ce style.
En fait la ligne claire n’est pas un moyen de synthétiser mais au contraire de mettre l’accent sur des détails.
Oui. C’est de la construction. Je me rends compte que je construis un monde. Ce n’est pas une traduction de la réalité mais une construction d’après mes pensées.
Comment choisissez-vous vos projets ?
L’avantage quand on travaille seul, c’est de ne pas avoir de responsabilité vis-à-vis d’un personnel. J’ai encore la liberté de choisir les projets sur lesquels travailler. Et dans la création il faut une certaine liberté. Par exemple pour l’exposition Trafic, je me suis dit que je voulais bien faire une petite construction. Donc on a fait le Vélo à Quatre vents dans une série de 12 exemplaires. C’était un investissement, on ne savait pas si cela allait se vendre. J’ai la liberté de faire ce genre de choses. J’ai aussi proposé à un certain moment un projet musical avec Fay Lovski, une musicienne néerlandaise. Elle a écrit des compositions autour des personnages de bande dessinée et j’ai réalisé l’emballage du produit et les illustrations des compositions. J’étais aussi co-compositeur, notamment de la composition Appellation contrôlée qui a été choisie pour le générique d’une émission de télévision. Lorsque j’ai entrepris ce projet, j’étais simplement motivé par l’enthousiasme et non par un quelconque bénéfice financier. On a davantage de liberté lorsqu’on travaille sur ce type de projets, et il faut en profiter pour ne pas se limiter et obtenir le meilleur résultat possible. Si on a le choix, ce sont ces projets- là qu’il vaut mieux privilégier.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du travail de dessinateur ?
L’architecture, la musique, la typographie, faire des livres… Un dessinateur de bande dessinée est chaque jour derrière sa table à faire ses dessins. Il est isolé et manque un peu d’aventure. J’ai fait le choix d’une vie plus sociale en commençant à prendre des travaux pour lesquels il était nécessaire de négocier et de parler avec d’autres gens. En dehors du temps investi pour faire des produits et des pièces d’art, je travaille dans des organisations. À Haarlem, j’ai mis en place la biennale pour la bande dessinée. J’ai consacré trois mois à l’organisation et je n’ai pas gagné d’argent pendant cette période. Mais le festival existe encore et c’est le plus intéressant du pays. Maintenant, un peu dans le même style, on va essayer avec un ami de présenter les dessinateurs de bandes dessinées néerlandais sur le podium du prochain festival à Angoulême. J’aime essayer de motiver une organisation à faire quelque chose pour la bande dessinée, créer des liens…
En tant qu’illustrateur de textes, vous avez beaucoup réfléchi à la part d’influence de l’image sur l’imagination du lecteur — notamment pour le livre Dichtertje (Petit Poète) de Nescio. Pouvez-vous m’en dire quelques mots ?
Notre culture aux Pays-Bas est calviniste. Elle est centrée sur le texte. Dans les églises calvinistes on ne trouve pas d’images, la concentration est portée sur l’interprétation du texte. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays de culture catholique. Quand je vois des livres illustrés par des artistes, je sais toujours que c’est l’interprétation de l’artiste, sa vision sur l’œuvre littéraire. Ça veut dire aussi qu’il n’existe pas une œuvre illustrée définitive. Quelques années plus tard, un autre artiste va faire une autre interprétation et par ces différentes interprétations, on voit que l’on peut lire les choses différemment. Quand j’ai illustré Dichterje de Nescio aux Pays-Bas, un journaliste a écrit « c’est M. Swarte qui m’a piqué ma fantaisie ». Moi je n’avais pas pour idée de piquer quelque chose mais d’ajouter à la richesse de l’œuvre, pour laisser la possibilité à chacun de lire quelque chose de personnel dans l’œuvre de l’écrivain, mais que cela apparaisse plus clairement. L’idée que l’on puisse lire quelque chose et que sa vision personnelle soit la bonne ligne c’est en quelque sorte être dans sa propre prison, il faut être libéral.
Quand vous illustrez des textes, vous avez donc des limites sur ce que vous voulez dire au lecteur, pour ne pas trop le guider ?
Oui, bien sûr. Par exemple dans ce livre, Dichtertje, il y a une ligne : « Si vous êtes un petit poète, la plus belle fille se promène toujours de l’autre côté du canal. » Et je me suis dit, si je fais un portrait du petit poète, le lecteur pourrait se dire, ce n’est pas moi. Mais je voulais que dans ce texte, qui est proche du lecteur, celui ci puisse s’identifier. Donc je n’ai jamais dessiné le petit poète. Il était toujours représenté comme une silhouette. Il y a toujours ce genre de décisions à prendre. Pour cette histoire je me suis mis un peu en retrait ; je n’ai pas forcé l’imagination du lecteur.
Illustrer des textes offre moins de liberté que dessiner pour une BD, mais cela oblige à user d’outils tels que la métaphore, les allusions…
Ce qui est intéressant, c’est que les histoires des auteurs vous donnent une direction à laquelle vous n’auriez pas pensé. C’est pour cela que j’ai fait des illustrations pendant des années pour The New Yorker. Ils m’envoyaient un article, souvent sur un sujet auquel je ne comprenais rien, et il fallait que je fasse des recherches pour étudier le contenu de l’article, trouver l’essentiel pour l’illustrer. Il faut étudier toute la vie !
Le personnage que vous avez inventé, Jopo Pojo, vous donnait au contraire toutes les libertés pour dessiner.
À l’époque, je pouvais y mettre mon insécurité, mes frustrations, mes ambitions musicales. Tout ce genre de choses qui était dans ma tête, je pouvais les sortir par Jopo Pojo.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune designer ?
Ce que je trouve important c’est de rester indépendant, de rester maître de ta propre œuvre. Ce n’est pas toujours facile parce qu’il faut travailler avec d’autres gens et respecter leurs idées. Mais ce qui est important au début d’une carrière, c’est de créer des choses que tu aimes bien. S’il y a le choix entre gagner beaucoup d’argent avec des produits médiocres et de l’autre côté de faire quelque chose de beau avec moins d’argent, il faut faire quelque chose de beau. Parce qu’après les gens vont faire appel à toi pour ton expérience : si tu as fait de belles choses, ils vont te demander de faire de belles choses. Si tu as fais des choses médiocres, ils vont te demander de faire des choses médiocres, et tu es coincé toute ta vie. C’est un grand risque ! Et bien sûr, il faut rencontrer des gens avec le même esprit.