and I made a book about it, interviews with dutch designers
Book with the interviews of twelve dutch designers: Joost Swarte, Max Kisman, Cobbenhagen Hendriksen, De Designpolitie, Ben Bos, Lenoirschuring, Mevis & Van Deursen, Joost Grootens, Peter Bil’ak, Karel Martens, Patrick Doan and Martin Majoor
fr/en Mevis & Van Deursen
Armand Mevis
6-9-13
Pourquoi vous intéresser au design de livres ?
Une des raisons pour laquelle il est agréable de faire du graphisme — et je ne parle pas uniquement des livres — est que ça vous met en relation avec les gens. Pour chaque livre, on commence par rencontrer quelqu’un. Cela peut être un artiste ou un écrivain qui va nous introduire dans son univers. On comprend peu à peu l’œuvre et on réfléchit à la manière de la traduire, on réfléchit à la question que pose le livre et à la réponse la plus appropriée. Et on doit le faire en tenant compte des contraintes inhérentes au livre. Parce qu’un livre suppose quelques contraintes : il y aura toujours un dos, du papier. Différents procédés de reliure sont possibles mais leur nombre reste limité. On garde toujours en tête les possibilités mais aussi les limites qu’offre la création d’un livre. Avec les mêmes contraintes techniques, on doit pourtant parvenir à personnaliser le contenu pour untel. Chaque type de livre doit être considéré comme un nouveau défi. C’est d’autant mieux si le questionnement se renouvelle à chaque fois, parce que travailler pour des contenus différents vous donne de nouvelles idées. Ce qui est appréciable, c’est le fait de chercher dans tous les sens des solutions. Je me souviens d’un livre pour lequel un photographe avait dit : « Je n’ai que six images et je veux en faire un livre ». Comment fait-on donc un livre avec six images ? On réfléchit alors aux solutions envisageables pour ce type de livre et on commence à penser d’une façon complètement différente. On commence à réfléchir à un livre pour enfants et on crée un livre cartonné. La nature du questionnement engendre la réponse, je n’aurais jamais imaginé créer un livre cartonné. Donc, ce que j’aime, ce n’est pas seulement le fait de rencontrer des personnes différentes, c’est le fait qu’elles m’inspirent. Il ne s’agit pas tellement de leur travail mais plutôt des choses qu’elles vous racontent. On peut le voir comme un cadeau : quelque chose arrive de l’extérieur, nous donne une idée qui ne vous serait jamais venue si cela avait été pour quelqu’un d’autre. Je ne peux pas imaginer créer un livre puis un autre puis encore un autre sans cette contribution extérieure. Je pense que nous avons également appris que le graphisme ne se passe pas derrière votre ordinateur mais pendant que nous discutons avec quelqu’un. Parce que, rien qu’en écoutant très attentivement et en essayant de comprendre ce qu’une personne veut vraiment dire, ce que nous devons faire nous apparaît alors très clairement. Je pense qu’il est bon d’essayer de mener son travail en toute simplicité.
Parlez-nous de votre intérêt pour le façonnage ? La plupart des reliures de vos livres sont pensées de manière ingénieuse. (Par exemple, la tranche du livre Why Mister Why?, les pages de Heralded as the new black…)
On essaie de se concentrer sur ce que l’on sait mais en même temps on cherche des solutions totalement inédites. On tente également d’inventer de nouvelles solutions. Il arrive que l’on pense avoir inventé quelque chose qui finalement existe déjà. On va voir le relieur qui nous dit : « Oh oui, nous savons comment faire ça, nous l’avons déjà fait ». Mais c’est agréable de réfléchir autrement et de manière ouverte quand on travaille sur quelque chose comme un livre. À mon avis, les livres représentent un défi car ils sont assez compliqués à produire. Mais c’est cette complexité qui nous guide vers de nouvelles possibilités. Si l’on fait une affiche, eh bien une affiche reste une affiche. Ce n’est qu’un simple bout de papier, on peut tout au plus repenser son design. Mais pour un livre, il faut tenir compte de son aspect physique. Si l’on prend les premiers livres que nous avons faits, on voit bien que notre attention s’est davantage portée sur leur design et leur mise en page plutôt que sur leur réalité physique mais nous avons peu à peu inversé la tendance et nous nous sommes mis à penser le livre comme quelque chose que l’on tient dans ses mains.
Il y a une distinction entre choisir avec attention le papier et la méthode de reliure pour rester fidèle au contenu et choisir un type de reliure pour apporter quelque chose en plus au message du livre. Selon vous, à quel point l’objet fait-il partie du message ?
Les deux sont, à l’évidence, connectés. On ne peut pas faire l’impasse sur la structure. Comment structure-t-on le contenu ? Le contenu peut-il être structuré en petites unités ? Peut-on rassembler chacune des parties de ce contenu ? Souvent, pour un livre — au regard du papier choisi plus que de la typographie ou de la mise en page —, on peut comprendre sa composition et les choix qui y ont présidé compte tenu de sa tridimensionnalité. Il n’est pas tant question de l’objet mais plutôt de la manière dont le contenu et l’objet peuvent interagir. Il est probable, si l’on regarde tous nos livres, que l’on observera à chaque fois des similitudes. Certains types de décisions sont très lisibles : si nous faisons du texte nous le ferons toujours de cette manière, avec ce type de papier, si nous faisons des images alors nous nous y prendrons ainsi…
Travailler sur l’apparence du livre n’est-il pas un moyen de s’impliquer dans le projet quand on ne peut agir sur son contenu ?
Oui, tout à fait. Bien souvent, quand les gens nous contactent, le contenu n’est pas encore très défini. Il y a bien sûr une question qui se pose ; par exemple, nous avons fait un livre pour un designer de mode qui a dit : « Voici le fruit de vingt années de travail, je voudrais en faire un livre.» Nous avions donc cette montagne d’archives dont nous ne savions pas quoi faire et nous ne savions vraiment pas comment l’exploiter pour en faire un livre. On devient alors éditeur puisqu’on sélectionne le contenu qui va correspondre à l’idée générale. On commence ainsi à prendre part au contenu. Le livre en lui-même ou les choses que l’on trouve nous conduisent à faire des choix. Mais si l’on veut faire quelque chose de particulier, ça ne peut pas fonctionner à tous les coups. Quelqu’un vient nous voir et s’imagine qu’on peut tout faire d’un livre. Ce ne serait pas bon pour le livre parce qu’il deviendrait alors quelque chose d’autre et l’on perdrait tout le concept. Il faut donc trouver des idées et pouvoir dire, « c’est parce que nous avons cette idée que nous choisissons précisément ce matériau ». Les choses deviennent alors cohérentes et s’affirment. Parfois, le budget et les contraintes techniques nous aident à être précis parce qu’on peut s’en servir comme critère pour choisir et ajouter du contenu. C’est toujours une question de choix.
Vous avez dit que le graphiste n’est pas censé être impliqué dans le contenu, mais vous considérez que cela représente une opportunité intéressante quand on peut contribuer au projet. N’est-ce pas frustrant pour vous ? Et un peu contradictoire quant à votre statut, celui de graphiste ?
C’est bien évidemment un peu hors contexte. Cela fait écho à une expérience que nous avons eu : dans certains cas, l’éditeur vient nous voir et a déjà tout prédéfini (il faut que ce soit une couverture rigide, cette dimension, ce papier). Et on a l’impression que le graphiste n’a pas son mot à dire. Ce genre de cas, quand on part de zéro, est assez rare et difficile à obtenir. La plupart du temps, les gens ont déjà une idée de ce qu’ils souhaitent et pensent que l’on peut seulement mettre en forme cette idée, que l’on peut seulement la traduire de manière formelle. Ce n’est pas évident de les convaincre que l’on fait bien plus que s’occuper de la mise en page ou choisir une police de caractère. Il faut donc trouver quelque chose dans le projet qui fait lien. Si l’on sait ce qu’est ce « quelque chose », alors on sait aussi quoi faire des images, de la typographie, du caractère… chaque élément en découle. Si les choses sont décidées d’avance, c’est très difficile. C’est en effet frustrant mais en même temps, nous essayons de ne pas être confrontés à ce type de situation ou alors nous essayons d’y remédier. C’est le cas, par exemple, pour le livre Why Mister Why?. L’éditeur est venu en disant : « Nous voulons faire un livre sur ce photographe, on veut une couverture rigide, 60 images. » Mais quand nous avons regardé les images en question, nous n’étions pas aussi certains que celles-ci soient emblématiques et que l’on puisse vraiment en faire un livre. Nous avons donc demandé à voir le photographe et nous avons pris connaissance de son travail. On essaye simplement de modifier entière-ment le briefing et ce faisant je pense qu’on remodèle le brief de manière à ce que cela puisse correspondre au type de contenu. Mais ce n’est pas toujours possible. Nous travaillons en ce moment sur un livre pour le musée Stedelijk sur Kasimir Malevitch. L’éditeur, avant de nous contacter, nous a demandé de regarder les livres produits par la Tate, qui sont assez ordinaires et pas vraiment bons. C’est vraiment difficile de faire un livre quand la personne a une idée précise en tête et que l’on veut faire tout autre chose. C’est bien plus stimulant de faire un livre et d’essayer de faire les choix qui conviennent le mieux en satisfaisant aussi bien le graphiste que le client. Faire un livre reste une affaire de collaboration.
Il y a un autre sujet qui semble conflictuel : les petites modifications que le client vous demande d’apporter.
Quand on fait un livre, on a déjà quelques idées, mais hormis ces idées là, il y en a quelques-unes qui sont vraiment importantes car elles permettent d’ancrer le livre dans le projet. Et il y a d’autres idées qui sont moins importantes : on ne modifie pas grandement un livre lorsqu’on modifie quelque chose comme la taille d’un caractère, tant que l’idée principale est préservée de ces petites modifications. Je le vois parfois comme une monnaie d’échange. On travaille avec quelqu’un, cette personne n’aime pas ceci ou cela et il y a toujours un moyen d’apporter des modifications sans que cela n’affecte trop le livre. C’est comme une négociation. On peut dire : « Nous ne pouvons pas transiger sur cette idée mais si vous n’aimez pas la typographie nous pouvons nous arranger.».
Ne pas s’attacher à ces détails, n’est-ce pas faire preuve d’un certain laxisme typographique ?
D’un côté, on pourrait croire que nous nous fichons des détails. Ils sont bien évidemment importants et nous leur accordons toute notre attention. Mais d’un autre côté, nous sommes ultra flexibles. On peut faire une très bonne typographie de diverses façons. Le changement est donc une possibilité et cela n’altère en rien la qualité d’une typographie. Je ne pense pas que nos livres dépendent tellement de ce type de décision, ils ne vont pas tomber en morceaux juste en changeant la typo. Faire des modifications ne signifie pas que nous ne faisons pas attention aux détails mais plutôt que nous sommes capables d’obtenir, quelque soit ces modifications, un résultat différent mais toujours égal. Je pense, par expérience, que ce sont d’autres facteurs qui importent le plus. C’est l’interaction entre les grosses décisions (concernant la taille, le papier, la reliure) et le soin des détails : au final, on veut que tout soit cohérent.
Qu’est-ce qui vous nourrit en dehors du graphisme ?
Le beau temps [rires]. Ce que j’aime le plus, en rapport avec mon travail, c’est de regarder les expositions d’artistes conceptuels. C’est cela qui me donne le plus d’inspiration et d’idées. C’est intéressant de voir comment une idée se rapporte à une forme et à quel point peu de forme est nécessaire pour transmettre cette idée. Si vous l’enrobez trop, on est alors distrait par ce surplus et l’idée se perd dans la forme. C’est mieux d’en faire le moins possible plutôt que le plus possible. Mais d’autre part, c’est plaisant de réfléchir aux différentes façons que l’on a de travailler une forme ou de traduire un contenu. Il faut rester très créatif et ouvert sur cette question de la forme et il devrait toujours subsister un lien avec ce que l’on veut ou ce que l’on a vraiment besoin de faire ou dire. Dans l’art, peut-être que l’on s’en rend mieux compte, alors que dans le design, il y a quelque chose de dangereux qui fait que, lorsqu’on s’assoit derrière son ordinateur, tout nous devient possible. De ce fait, le simple fait de regarder le travail de différents artistes m’apporte énormément : que l’on peut faire beaucoup avec peu. En ce qui concerne l’art que j’affectionne, cela a à voir avec les idées, et la forme est le résultat de cette idée. J’aime ce genre de notion, que l’idée vous livre la forme ou vous guide sans avoir à y réfléchir. Dans la situation où l’on travaille pour quelqu’un d’autre, cette personne vous donne une idée de ce que vous pourriez faire, la forme provient du résultat de cette idée. En un sens, c’est extrêmement simple.
Auriez-vous un conseil à donner à un jeune graphiste ?
D’aller dans une bonne école [rires]. Non je plaisante. Il y a plein de choses à dire mais je pense surtout qu’il est très important de se trouver dans un environnement stimulant durant ses études. De s’entourer de bons professeurs, de bons élèves dans une bonne école, de faire partie d’un groupe d’étudiants motivés, passionnés et qui ont envie de faire des choses. Bien sûr ce n’est pas toujours le cas et il faut alors être l’élément moteur et prendre des initiatives dans le groupe.
Tout est une question de savoir se positionner en tant que graphiste. Pour ça il faut savoir qui on est et quelles sont les personnes intéressantes pour soi. Donc si on aime tel graphiste plutôt qu’un autre, il faut se demander ce que l’on aime dans son travail et de quelle manière on peut l’intégrer dans son propre travail. Mais vouloir ne suffit pas. Il faut se demander de quoi on a besoin pour le faire. Je pense que c’est de cette façon que l’on peut se faire une idée de la direction que l’on peut prendre.
Il faut aussi pouvoir déterminer quelles sont ses propres qualités et faiblesses. C’est vraiment important de connaître et de comprendre ses faiblesses. Il ne faut pas essayer de les gommer, cela donne une indication des choses que l’on ne peut pas faire ce qui signifie qu’il y a d’autres choses que l’on peut faire. Quand on connaît ses points forts, alors on peut se perfectionner dans un domaine au lieu d’essayer d’être bon dans tout. On ne peut pas quitter l’école d’art et dire : « Me voilà, je suis graphiste et je peux tout faire. ». Non, je pense que les gens veulent comprendre qui l’on est, la manière dont on envisage les choses et pourquoi ils nous choisiraient nous plutôt qu’un autre. Si l’on dit que l’on peut tout faire et que l’on peut contenter tout le monde, cela ne collera pas parce que c’est trop commun. Il faut plutôt dire : « Je suis vraiment doué pour ça, voilà ce que je fais, si vous devez faire appel à quelqu’un pour ce type de travail, c’est vers moi qu’il faut vous tourner. »
J’enseigne à la Werkplaats et je pose quatre fois durant leur deux ans d’études cette question à mes étudiants : « De quoi est-il question dans votre travail ? Quelles sont les choses qui sont intéressantes pour vous ? ». On pourrait dire que cette question se pose pour eux pendant les études mais aussi après. Quand on sait ce que l’on veut faire, on sait plus facilement où le trouver et on a plus de chance de l’obtenir.